Claire-Lise Panchaud

Double nationalité, prénom double et double vue, Claire-Lise Panchaud vit et travaille entre la France et la Suisse, passe d'une ville à une autre, de la vision nette à la vision floue (sans ses lunettes), se dirige de A pour déjà regretter B, pratique l'aller-retour en train comme d'autres ont leurs habitudes au café du coin. "Qui a deux maisons perd la raison?" s'interroge-t-elle dans l'un de ses huit carnets qui constituent, sous le titre de Claire-Lise Panchaud, une sorte d'autobiographie parcellaire résistant à l'analyse et à l'introspection. Pour que ces voyages ne soient pas de simples courants d'air, Claire-Lise Panchaud dessine, prend des notes, ponctue sa route de noms, de listes (villes traversées, livre lus), et poursuit sa quête sans Graal. Retrouve son alter ego, Claire-Lise Panchaud, un homonyme dont elle a pu localiser sur internet la ville de résidence. L'intérêt de cette recherche ne réside pas dans sa résolution ; ce qui importe, c'est le mouvement vers l'inconnu(e) et l'imaginaire que ce double suscite. Creuser, étirer ou se faire rapprocher l'écart entre soi et l'autre - et de soi à soi par contrecoup. Ses pistes ne virent jamais à l'enquête et multiplient les formes (texte, vidéo, photographie) pour explorer les possibles depuis un centre et partir en étoile : à l'image de cette affiche sur laquelle sont dipsosés des noms de villes à lire selon son propre sens de lecture (même s'il s'agit en définitif d'une lettre), ou encore la vidéo Myope qui propose la vision diffractée de corps lumineux dans la nuit. Claire-Lise Panchaud s'emploie à tordre le réel pour le fictionnaliser, mêlant ainsi le souvenir de Rimbaud à la légende des fées au Creux de l'Enfer sur une banderole, ou témoigne du destin de l'île volcanique Ferdinandea et Graham Island dans une installation. Tandis qu'un film en exhume la brève existence au XIXe siècle au moyen d'une simulation, deux posters identiques en signalent la double revendication (par la Sicile et la Grande-Bretagne) et la conclusion qui s'impose : une mer calme et solitaire, à la ligne d'horizon étale. Un rêve d'île à venir et/ou son renoncement. Cette pièce n'est pas sans évoquer la dualité entre la terre et la mer pour se répartir la surface du globe... et rappelle qu'il n'y a pas d'histoire sans le jeu de la géographie. Cette question de territoire réel ou fantasmé, matérialisée sous une forme quasi hypnotique, est encore à l'oeuvre dans la vidéo Drapeaux qui dévoile en fondu enchaîné une série d'étendards classés par motifs (les étoiles, les croissants, les rayures, etc...). Dans l'intervalle, de nouvelles constellations surgissent, prenant le contre-pied d'un classement stricto sensu pour se rapprocher des paysages mentaux peints par Rothko. Logique du déplacement oblige, rien n'est vraiment stable : derrière chaque signe se profile une terra incognita à la dérive.


Claire Jacquet
Catalogue collectif Les Enfants du Sabbat 5, Collection "mes pas à faire" au Creux de l'Enfer.